Troisième partie de notre série de la semaine, consacrée aux objets connectés et à la science-fiction. Après Bienvenue à Gattaca, où l’on imaginait les données personnelles au service d’une institution totalitaire ; après Deus Ex, où l’on s’interrogeait sur la servitude de l’homme face à la technologie ; voici venir la technologie comme fin en soi, avec le film d’animation WALL-E.
Synopsis : Faites la connaissance de WALL-E (prononcez « Walli ») : WALL-E est le dernier être sur Terre et s’avère être un… petit robot ! 700 ans plus tôt, l’humanité a déserté notre planète laissant à cette incroyable petite machine le soin de nettoyer la Terre. Mais au bout de ces longues années, WALL-E a développé un petit défaut technique : une forte personnalité. Extrêmement curieux, très indiscret, il est surtout un peu trop seul…
Cependant, sa vie s’apprête à être bouleversée avec l’arrivée d’une petite « robote », bien carénée et prénommée EVE. Tombant instantanément et éperdument amoureux d’elle, WALL-E va tout mettre en oeuvre pour la séduire. Et lorsqu’EVE est rappelée dans l’espace pour y terminer sa mission, WALL-E n’hésite pas un seul instant : il se lance à sa poursuite… Hors de question pour lui de laisser passer le seul amour de sa vie… Pour être à ses côtés, il est prêt à aller au bout de l’univers et vivre la plus fantastique des aventures !
(Source : Allociné)
WALL-E Est tout d’abord l’histoire d’une planète Terre ravagée par l’être humain, qui a décidé de s’enfuir dans l’espace, le temps que la vie revienne au sol. On peut considérer qu’il s’agit d’un « conte écologique » : Wall-e est un robot nettoyeur qui développe une conscience en même temps qu’il comprend sa propre solitude. Celle-ci va être brisée par l’arrivée d’EVE, un nouveau robot envoyé pour vérifier le retour de la vie (sous la forme d’une plante). EVE va ensuite retourner au vaisseau humain pour rapporter sa découverte, suivie par Wall-e.
Il n’y a que peu d’enseignement, dans notre cas, à tirer de cette partie. Le problème des déchets s’applique autant à l’emballage d’un yaourt qu’à celui d’un capteur. Et puis comment parler de l’usage de la technologie par l’humain… Quand il n’y a pas d’humain ?
La partie qui nous intéresse est la seconde moitié du film. Wall-e arrive dans un immense vaisseau spatial où la plupart des besoins des résidents sont remplis par une armée de robots. Ils sont obèses, vivent en permanence dans des fauteuils antigrav’ qui les mènent d’un point à un autre, et ne sont même plus capables de se lever. Même leur capitaine en est réduit à faire un discours le « matin » (évidemment, dans l’espace, le cycle jour-nuit est artificiel) à ses administrés, avant de se laisser porter le reste de la journée. En réalité, la plupart des tâches sont assurées par l’ordinateur central, Auto, une sorte de version pervertie du HAL 9000. Celui-ci prend en compte en permanence les besoins des habitants et les satisfait.
C’est ici que les choses se gâtent.
Le vaisseau Axiom est en quelque sorte devenue un unique organisme au service des humains. Il quantifie les besoins en direct, ce qui le pousse à les standardiser pour plus d’efficacité. Il arrive même qu’il les suggère, lorsqu’il propose aux habitants, tous habillés en rouge, de passer au bleu. Ceux-ci s’exécutent immédiatement : la boucle est bouclée.
Paradoxalement, ce système gère la vie des humains sans pour autant s’assurer de leur santé, alors qu’il en a les moyens. C’est là que se trouve la dérive : le corps quantifié devient simple entité productrice de données, qui appellent des réponses du système, parce que c’est la fonction de ce système. Mais le système n’a pas besoin de l’humain pour survivre.
On peut faire une analogie avec les différents capteurs que nous utilisons. Le principe est le même : une demande > un feedback. Pour le moment, le feedback intervient seulement sous forme de données personnelles, éventuellement partageables. Mais après ?
La domotique prend de l’ampleur, les capteurs se portent de plus en plus près du corps (voir même à l’intérieur, comme on l’a vu hier). Ils communiquent avec nos professionnels de santé, nos proches. Nous avons des frigos qui remplissent eux-mêmes la liste des courses, des machines à laver qui s’adaptent au vêtements placés à l’intérieur. Ces évolutions sont indépendantes pour l’instant, et sans conteste, elles facilitent la vie de leurs utilisateurs.
Le problème survient lors de l’interconnexion des technologies. Par exemple, allier la Hapiforks, la Smart Food Scale, le frigo intelligent et une application comme Poidscible. Toute votre alimentation sera monitorée du début à la fin par une machine qui vous dira quoi acheter, comment le cuisiner et comment le manger. Toute sortie du processus sera sanctionnée par l’un ou l’autre des services, car moins performant.
L’humain n’est plus assisté par la technique, c’est la technique qui devient prioritaire et l’humain secondaire. Le « pourquoi » est peu à peu cannibalisé par le « comment » (on rappellera que le mot « technique » vient du grec technè, qui à l’époque désignait « la manière dont les choses sont conçues »). Il faut voir ce problème comme étant d’ordre ontologique, qui a trait à la nature même de l’homme* : de sujets, nous devenons objets.
C’est le troisième et dernier risque que l’on pourrait imputer à l’évolution des objets connectés que nous traitons ici, le troisième « dépassement ». La profusion des données peut être utilisée à l’usage d’un totalitarisme soft, qui ne dirait pas son nom. Elle peut être si liée à l’homme qu’on ne voit plus la différence ni physique ni morale entre les deux. Ou elle peut dépasser l’homme, qui devient donc une simple composante du système. Une composante annexe au final, puisque l’interconnexion prend les décisions d’elle-même, selon sa logique.
Pas besoin d’imaginer une intelligence artificielle pour ça.
*et au passage, le rédacteur comprendrait très bien que ça ne vous intéresse pas.
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