Cette semaine, une série spéciale sur Tutti Quanti. Comme toute pratique novatrice, le quantified self pose des questions, de même que l’interconnexion de plus en plus forte entre nos objets du quotidien. Il y a un genre qui explore le futur, et qui tente d’imaginer ce que vont donner demain les technologies d’aujourd’hui : la science-fiction. Alors, que pense la science-fiction de tout cela ? C’est ce que nous allons voir cette semaine. Pour commencer, un classique : Bienvenue à Gattaca.
Synopsis : Dans un monde futur, on peut choisir le génotype des enfants. Dans cette société hautement technologique qui pratique l’eugénisme à grande échelle, les gamètes des parents sont triés et sélectionnés afin de concevoir in vitro des enfants ayant le moins de défauts et le plus d’avantages possibles. Bien que cela soit officiellement interdit, entreprises et employeurs recourent à des tests ADN discrets afin de sélectionner leurs employés ; les personnes conçues de manière naturelle se retrouvent, de facto, reléguées à des tâches subalternes. Gattaca est un centre d’études et de recherches spatiales pour des gens au patrimoine génétique impeccable. Jérôme, candidat génétiquement idéal, voit sa vie détruite par un accident tandis que Vincent, enfant naturel, donc au capital génétique « imparfait », rêve de partir pour l’espace. Chacun des deux va permettre à l’autre d’obtenir ce qu’il souhaite en déjouant les lois de Gattaca.
L’univers de Gattaca est fait de chiffres et de données, exploitées en direct. Ces données, principalement génétiques, rythment la vie de la société dans laquelle se déroule cette histoire. Celle-ci se trouve à une période charnière de son développement : la technologie permettant de choisir les gènes de son enfant est répandue, mais pas systématique. On a donc une cohabitation entre les « invalidés » (les enfants naturels) et les « valides » (les humains génétiquement modifiés). Au détriment des premiers, forcés d’occuper des postes subalternes. De la même manière, les technologies de mesure de soi en sont encore à leur balbutiement, il n’y a qu’à voir le nombre de projets innovants qui se lancent chaque semaine.
Vincent Freeman (Ethan Hawk), le personnage principal, est un « invalidés » qui emprunte les marqueurs d’identité d’un « valide » : sang, urine, cheveux, et même l’apparence. Il devient en quelque sorte un hacker de ce système unifié, il utilise sa logique contre lui. Tout cela pour un seul objectif : réussir à aller dans l’espace. Son alter-égo, Jêrome Eugène Morrow (Jude Law), procède de la même manière : enfant-éprouvette, né de la science, dont les jambes ne fonctionnent plus après une tentative de suicide, il décide d’offrir son identité à Vincent. Ce faisant, il se rebelle à son tour contre un système qui devait dicter son existence depuis sa naissance. Enfin, Irene Cassini (Uma Thurman) est une enfant-éprouvette également, mais le processus a échoué, elle est atteinte de problème cardiaque. Au début du film, elle symbolise la soumission à l’ordre : elle n’accepte pas ses sentiments envers Vincent car elle estime, par son génome, ne pas être digne de lui.
Cette tension serait anodine et peu efficace, si on oubliait l’ambiance générale du film : froide, aseptisée, réglementée de la même manière que le sont les vies des protagonistes. Les costumes sont sombres, complets noirs pour les hommes, tailleurs stricts pour les femmes, en nuances de gris et de noir. L’architecture est grandiose, monolithique et complètement déshumanisée. Malgré la foule, ils ne dégagent aucune vie. La lumière elle-même est terne, métallique, on ne trouve de la chaleur que lors des scènes de flashback, ou dans la scène de fin, au décollage de la navette.
Au final, le détournement des usages de cette société devient le salut des personnages :
- Vincent prouve qu’il est capable de participer au programme, malgré son génome, et décolle avec la navette.
- Jêrome se suicide dans son incinérateur domestique avec sa médaille d’argent de natation autour du cou. Alors qu’il ne tolérait pas d’être toujours deuxième et jamais champion, celle-ci se transforme en or au contact des flammes.
- Irène apprend à se satisfaire de ce qu’elle est et à aimer Vincent, peu importe leurs codes génétiques respectifs.
Bon, mais quel rapport avec le quantified self ?
Excellente question, ami lecteur, c’est sympa de voir que vous suivez. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Gattaca ne rejette pas l’usage de donnée personnelle : aucun des personnages ne décide de s’enfuir sur une île déserte pour vivre sa vie à l’écart. Tous, à leur manière, utilisent le système totalitaire (au sens de « qui veut prendre en charge la totalité ») et aveugle contre lui-même.
La clé est dans la maîtrise des données. Les personnages de Bienvenue à Gattaca sont brimés car leurs données sont dirigées avant même leur naissance, par un système qui conditionne leur existence. Ils reprennent leur libre-arbitre et leur auto-détermination en « piratant » ce système. Le même risque existe avec le quantified self : si nous n’avions plus le contrôle des données que nous développons, nous pourrions perdre notre faculté d’en tirer nous-même des conséquences. Mais en gardant ce contrôle, nous devenons capables de maîtriser nos actes, et même de surpasser nos capacités. Lorsque l’on voit des projets comme Scanadu, qui permet de quantifier sa santé, ou Sceil, qui propose de manipuler nos propres cellules, on s’aperçoit que la question est réelle, et actuelle.
Pour le moment, heureusement, le problème ne se pose pas : l’interconnexion entre les capteurs est encore laborieuse, et les politiques de confidentialité des éditeurs sont solides (surtout après le scandale PRISM). Mais il n’y a qu’un pas du « quantified self » à « l’exposed self ». Que pourrait-il se passer demain ? On pourrait commencer à juger notre entourage en fonction des performances publiées sur Twitter. Puis, ensuite, choisir ses fréquentations en fonction des performances. Choisir le conjoint le plus efficace pour procréer, choisir la personne qui semble la plus performante pour faire du business, forcer ses enfants à publier toujours plus, pour se faire une forme de « réputation sportive ». À partir de là, on peut craindre l’exclusion de ceux qui ne participent pas à ce déballage.
C’est parce que cette technologie est encore balbutiante, parce que les éditeurs ne sont pas encore concentrés dans de grands groupes (comme Google ou Facebook) que nous pouvons nous poser ces questions. Parce que nous avons la capacité d’influer sur l’évolution d’une technologie qui nous est chère et qui va se développer. Le « quantified self » peut mener à l’amélioration de l’humain en général, ou à une société discriminatoire à la Gattaca. À nous de voir.
(Sources : Le blog de Mascha pour son étude de l’image dans le film, et Sens Critique pour des informations additionnelles.)
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