Avant-dernier article de notre série qui mélange science fiction et objets connectés. Rappel : nous avons déjà traité de Bienvenue à Gattaca, de Deus Ex et de Wall-e pour expliquer les dérives possibles d’une « technologisation » à outrance du corps humain. Aujourd’hui, nous verrons comment ces trois crises s’imbriquent dans une trilogie de science-fiction : le cycle de Takeshi Kovacs, de Richard Morgan (lisez-le, c’est genre très très bon).
Synopsis : Au 26e siècle, l’humanité s’est répandue à travers la galaxie, emportant ses religions et ses conflits raciaux dans la froide arène de l’espace. Tandis que ces tensions font rage et que de sales petites guerres éclatent tous les quatre matins, le Protectorat des Nations unies maintient une poigne de fer sur les nouveaux mondes, avec l’aide de ses troupes de choc d’élite : les Corps Diplomatiques.
En outre, la technologie a apporté ce que la religion ne pouvait garantir ; quand votre conscience peut être stockée dans une pile corticale et téléchargée dans un nouveau corps, même la mort n’est plus qu’un dérangement mineur. Tant que vous pouvez vous offrir un nouveau corps…
L’ex-Corps Diplomatique Takeshi Kovacs avait déjà été tué, avant ; c’étaient les risques du métier, mais sa dernière mort en date a été particulièrement brutale. Injecté à travers des années-lumières, réenveloppé dans un corps à San Francisco, sur la Vieille Terre, et balancé au centre d’une conspiration vicieuse (même selon les critères d’une société qui a oublié la valeur d’une vie humaine), il réalise bientôt que la cartouche qui a troué sa poitrine sur Harlan n’était que le début de ses problèmes…
Un riche magnat demande à Takeshi de l’aider à élucider sa propre mort. La police a conclu à un suicide. Mais pourquoi se serait-il suicidé alors qu’il sauvegardait son esprit tous les jours, certain de revenir parmi les vivants ?…
(Source : Carbone Modifié, Bragelonne)
Cette trilogie s’appuie sur une technologie de rupture : la numérisation de l’esprit humain à grande échelle. Dans l’univers créé par Richard Morgan, la totalité de la population possède dans la colonne vertébrale une puce qui enregistre la conscience. On peut la récupérer en cas de mort du corps, pour la réimplanter dans une autre « enveloppe ». De là l’expression « carbone modifié » : il s’agit de corps humains cultivés en cuve, et augmentés cybernétiquement.
Cette technologie pourrait être l’un des aboutissements possibles du quantified self : pouvoir déterminer toute l’activité du cerveau humain pour la reproduire dans un nouveau corps en cas de besoin. Le processus mesure/feedback poussé à son paroxysme. Et l’auteur est bon car en trois tomes, il réussit à fouiller les conséquences de cette technologie, tant au plan moral que politique. Ce qui nous donne de quoi écrire.
A] Du totalitarisme
Dans le second tome, Anges Déchus, on rencontre un personnage nommé Sémétaire. C’est un vendeur d’âmes : il récupère sur les champs de bataille les puces des soldats morts au combat, puis les revend au poids à des acheteurs corporatistes. Sémétaire n’a aucune considération pour les personnes qu’il vend, c’est un marchand de morts qui ne savent même pas qu’ils le sont. Peu à peu, il devient pour Takeshi Kovacs un avatar de sa propre dégradation, en même temps qu’une allégorie de la stupidité de la guerre.
De la même manière que dans Bienvenue à Gattaca, la technologie de mesure devient technologie de choix. Les hommes sélectionnés par Sémétaire pour ses clients sont des rescapés, les autres n’ont pas autant de chance. Leurs puces disparaîtront dans la masse des victimes, sans espoir de retrouver un nouveau corps, tout comme les « invalidés » de Gattaca sont mis à l’écart de la société. La situation est bien sûr plus violente, sur un théâtre de guerre, mais la logique reste la même : à force de transformer l’humain en simple corpus de données brutes, on en fait une quantité négligeable.
B] De la décorporation
Dans Carbone modifié, premier tome, nous rencontrons Laurens Bancroft. Il s’agit d’un Math’, de Mathusalem, car il a vécu plusieurs centaines d’années. Ce qui le pousse à avoir une vision de l’humanité qu’on pourra qualifier de « détachée ». Difficile de prendre des gens de 30 ans au sérieux quand on a vu passer trois crises économiques et l’effondrement de plusieurs nations, comme il l’explique lui-même dans le livre. Avant le début, Bancroft se suicide pour échapper à une menace inconnue (en réalité un souvenir intolérable), et sa sauvegarde se réveille en ayant oublié les dernières 48 heures. Il appelle donc Kovacs pour élucider ce suicide qu’il ne comprend pas.
Bancroft est l’exemple d’une technologie qui consume l’humain, jusqu’à celui-ci perde contact avec ses semblables. Comme Adam Jensen, Bancroft perd sa condition d’être humain par le haut, en surpassant ses capacités. Il devient absent à sa propre espèce, totalement détaché. Ce faisant, il n’est plus poussé que par ses pulsions les plus primaires : sexe et instinct de conservation. La technologie qui devait le libérer du poids de la mort le renvoie finalement à l’état primitif de son espèce.
C] De l’assistanat
L’une des âmes recueillies par Sémétaire est celle de Sun Liping, une militaire qui s’est suicidé face à une attaque virale. Il s’agissait d’un virus nommé Rawling, qui cause des hallucinations et corrompt immédiatement la puce du porteur, la rendant inutilisable (ce qui correspond donc à une vraie mort). Sun Liping se suicidera à nouveau dans le livre quand l’équipe fera face à une technologie extra-terrestre qui menace à la fois leur corps et leur esprit.
On voit là l’effet de la facilitation à outrance de la vie par la technologie, tout comme la vie des humains était facilitée dans Wall-e. Face au danger, ce personnage ne cherche pas à trouver une solution pour faire face, elle se contente de se faire sauter la cervelle pour s’échapper. Littéralement. La technologie lui facilite l’existence (terme discutable mais valable dans ce contexte) au point qu’elle s’oppose à son instinct de conservation primaire, comme une béquille trop envahissante.
D] Contre-exemple
Il y a quand même un personnage qui nie totalement toutes ces dangereuses évolutions : Takeshi Kovacs lui-même.
Kovacs est un ex-membre des Corps Diplomatiques. à ce titre il subit une discrimination, il suscite la méfiance, tout comme Vincent Freeman de Gattaca. Cela ne l’empêche pas d’utiliser ses talents et le système lui-même contre lui. De la même manière que le prouve Vincent, il est possible de tromper un système même absolutiste en utilisant ses méthodes.
Puisqu’il y a stockage de l’esprit en données, il peut y avoir copie. Et c’est le cas pour Kovacs, qui se retrouve à deux reprises face à un autre lui-même, une fois allié, une fois opposé. Mais dans les deux cas, il se crée immédiatement dans le récit une différenciation entre les deux identités. Celle-ci annihile l’effet de perte d’identité, celui que subit Adam Jensen par sa transformation progressive en machine.
Il suit enfin une doctrine qui lui a été enseignée par son instructrice des Diplo’, « Définir la nature de la tâches avant de choisir ses outils ». Le succès de ses opérations, dans les différents livres, est essentiellement dû à sa détermination et surtout à sa capacité d’analyse. Kovacs fait avec ce dont il dispose, il travaille selon les situations présentes. Pourtant, il utilise exactement le même matériel augmentant que ses collègues. La différence est qu’il n’en fait pas une fin en soit. Il n’est pas esclave annexe comme les humains de Wall-e.
Glow vous aide à tomber enceinte
Une ambiance maîtrisée avec l’ampoule connectée haut parleur Lumisky
Une ambiance maîtrisée avec l’ampoule connectée haut parleur Lumisky
Surveillez la santé de bébé avec la toute première tétine connectée